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Troisième test nucléaire français au large de l’atoll de Mururoa, le 27 octobre 1995.
© Stringer .

4 minutes de lecture

Livres

Lisbeth Koutchoumoff
Publié vendredi 12 mai 2017 à 23:46, modifié vendredi 12 mai 2017 à 23:46.

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Le bleu nucléaire, couleur du mensonge et de la folie

Avec «Le Rayon bleu», Slobodan Despot signe un roman mélancolique sur la solitude du pouvoir, les mondes effondrés et le poids de l’histoire

4 minutes de lecture

Livres

Lisbeth Koutchoumoff
Publié vendredi 12 mai 2017 à 23:46, modifié vendredi 12 mai 2017 à 23:46.

Le Rayon bleu, le nouveau roman de Slobodan Despot, c’est le mariage réussi entre le roman d’aventures et le roman introspectif, le thriller et la rêverie. Il s’en dégage une mélancolie, de bout en bout, celle qui surgit quand on observe les vies hachées par l’histoire. Au centre, un personnage de haut fonctionnaire français, conseiller à l’Elysée sur les questions nucléaires, qui aura fait sa carrière dans les années 1950-1990 avant d’être retrouvé mort dans son pied-à-terre parisien. 

La résolution de l’énigme, par un journaliste, est un moteur de l’intrigue, mais surtout le prétexte à des déambulations dans la campagne française, les océans et les airs, autant de cercles concentriques, de métaphores du cheminement solitaire d’un être pris dans les rouages de systèmes qui le dépassent et face auxquels il fait le choix de résister. Après Le Miel en 2014, le fondateur des Editions Xenia et conseiller d’Oskar Freysinger confirme son talent de romancier.

Parfum des bois de sapins

Roman sur les naufrages et leurs échos, sur la permanence des ruines, Le Rayon bleu s’ouvre par une scène qui donne son empreinte à l’ensemble: quelque part en ex-URSS, un matin tôt, Kouzmine enfourche sa moto et s’éloigne des grandes avenues encore désertes pour gagner la campagne. Se découpe alors, dans le parfum des bois de sapins, la «Cité de la jeunesse Patrice Lumumba», qui «somnole à tout jamais derrière ses grilles rouillées». Visiblement, Kouzmine fait une visite de routine à ce lieu hanté, vestige de l’ère communiste, musée ouvert de la Guerre froide. Les visages des enfants qui venaient là faire du sport et des jeux, leurs cris, se dessinent et s’élèvent, à mesure que Kouzmine passe devant le réfectoire, la salle de spectacle abandonnés.

Pas plus grand qu’un autocuiseur

L’image qui résume ce passage du temps est celle du train miniature, dernière installation qui fonctionne encore et sur lequel Kouzmine va monter, grand corps cocasse dans ce monde soi-disant dévolu à l’enfance. Car la Cité cachait un laboratoire nucléaire où travaillaient de jeunes génies de la physique, dont faisait partie Kouzmine. Un jour, le réacteur, pas plus grand qu’un autocuiseur, a explosé, déployant ses rayons bleus mortels.

Les faux-semblants parcourent le livre. Désaffectée depuis des lustres, la Cité de la jeunesse palpite pourtant encore. Kouzmine continue de relever, imperturbablement, les codes qui proviennent il ne sait d’où mais qu’il doit transmettre, quoi qu’il arrive, à un numéro de téléphone français. Depuis des années, plus personne ne décroche.

Hautes sphères du pouvoir

Mais le téléphone sonne bien, à l’autre bout, telle une réminiscence du passé. Et cette sonnerie qui remonte le temps est une autre trouvaille du roman. Passé l’entrée en matière côté russe, l’auteur se consacre au versant français. A la Cité soviétique répond un château, maison de campagne d’Herbert de Lesmures. C’est par la demeure, ses bruits et ses silences, au fil des saisons et des naissances, que le lecteur découvre un aperçu de la vie de ce militaire aimant par-dessus tout retrouver ses terres et qui parviendra aux plus hautes sphères du pouvoir. Jusqu’au coup de feu.

Entre en scène un journaliste, qui devient l’enquêteur-narrateur et qui, à la demande de la fille du disparu, doit écrire un livre sur les véritables causes du décès. Là encore, c’est par ses traces que l’édifice d’une vie se fait jour. De réunion officielle sur la dissuasion nucléaire française en conclave pour rassurer les Américains, Herbert faisait mine de prendre des notes mais tenait en réalité un journal intime. Derrière la façade lisse du haut fonctionnaire apparaît l’être d’émotions et de vertiges.

Ecriture intime

L’écriture intime permet de se lire soi-même, tout journal est une enquête. Livre dans le livre, les pages d’Herbert, que le narrateur déchiffre, creusent l’écart entre l’homme et sa fonction et tournent comme un avion en approche autour des questions de responsabilité, de chaîne de décision, de conscience, de vie et de mort. Si l’écriture transforme, la lecture aussi. Le narrateur se projette et s’identifie à Herbert. Tout comme le lecteur, saisi, du Rayon bleu.


Slobodan Despot, «Le Rayon bleu», Gallimard, 192 pages