Les bédouins flingueurs (ma chronique aux «Beaux parleurs» du 21.10.2018)
C’est l’histoire du mec qui se rend à son consulat, peinard, en une seule pièce — et qui en ressort détaillé en tranches. Depuis lors, des dessinateurs inventifs ont proposé un nouveau design pour le drapeau de l’Arabie Saoudite, où le sabre des décapitations a fait place à la tronçonneuse des travaux de gros. Pour ramener à la raison ce journaliste trop bavard, M. Khashoggi, le prince MBS a dépêché carrément l’équivalent d’un quinze de rugby, rapidement devenu… un quatorze, parce que l’un des liquidateurs se serait déjà lui-même fait liquider dès son retour dans un accident de voiture suspect à Riyad…
On a l’impression en lisant ce récit, qu’on a mis les scénarios de films les plus extravagants dans un shaker et qu’on a bien brassé le tout. Sommes-nous tombés à la fin du prodigieux Fargo des frères Cohen, là où le gars se fait réduire tête première dans un broyeur agricole? A moins qu’on suive les péripéties de ce bon Léon le nettoyeur, la référence en matière de disparitions aussi discrètes que définitives.
Pour ce qui est du définitif, le contrat semble bien rempli, mais pour la discrétion, les MBS boys vont devoir repasser. On n’est plus à l’ère des pigeons voyageurs, les gars! Big Brother est partout désormais. Il enregistre nos moindres soupirs, en l’occurrence (paraît-il) à travers la montre connectée du client. Comment voulez-vous que les assassins puissent faire sereinement leur travail après ça? A mon avis, ils devraient porter plainte pour atteinte à la vie privée.
Les derniers instants du journaliste saoudien ont, quoi qu’il en soit, été dûment enregistrés et balancés dans le Cloud. Il ne manquait plus que l’image pour qu’on puisse en faire un film «gore» style caméra à l’épaule, pseudo-documentaire, voyez le genre (1)?
Bref, l’enregistrement nous plonge soudain dans les classiques du film noir. Au moment où les fines lames commencent leur besogne, la réplique est au consul, Mohammed Al-Otaibi: «Faites ça dehors, vous allez encore m’attirer des problèmes» (l’«encore» est de moi, soyons honnêtes, mais le reste est authentique!).
A quoi l’un des spécialistes répond sobrement: «Si tu veux vivre quand tu reviens en Arabie saoudite, tais-toi!»
Vous l’avez deviné, c’est dans les Bédouins flingueurs avec des dialogues de Michel Audiakhbar.
Bref: un joli petit scandale planétaire dû à l’inadaptation de nos spadassins à l’ère numérique. Un comble quand on sait la passion de leur boss pour la technologie d’avant-garde (et les centaines de milliards d’investissements qu’il y a engloutis). Mais le prince MBS n’est pas tout blanc non plus. On connaissait son petit côté soupe au lait. De là à faire tailler en morceaux un chroniqueur de seconde zone du Washington Post dont personne n’avait jamais entendu parler? Sans doute s’est-il laissé aller à un mouvement d’humeur. Comme disait l’Allemand dans les tontons flingueurs: «Che ne dis pas que ze n’est pas injuste, che dis que za zoulage».
Le monde du business a été choqué. Même les requins de chez J. P. Morgan ont annulé leur prochain voyage à une conférence d’investisseurs. Et l’on murmure que plusieurs parlementaires suisses se demandent s’il est bien opportun de répondre aux invitations de MBS à venir passer des week-ends chez lui payés par de bons amis communs.
Cela dit, ne nous emballons pas. Cette regrettable petite bavure n’empêchera pas — on parie? — Macron Jolicœur et Donald le Rouquin de fourguer à MBS la quincaillerie nécessaire pour finir d’éparpiller ces cure-dents de Yéménites aux quatre coins de la péninsule façon puzzle. Pas de pitié pour ces toasts trop grillés, ils ont le mauvais goût d’être pauvres. Là, les tueurs de MBS peuvent tailler et découper à leur guise. Et nous ne sommes pas près d’arrêter nos livraisons (2).
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On peut trouver sur les réseaux la bande annonce: la photo du visage proprement découpé de M. Khashoggi, soigneusement étalé par terre comme une méduse devant son crâne. Je m’abstiens de la reproduire, tout en sachant qu’elle aurait ses amateurs, tant du côté ciné d’horreur que du côté art d’avant-garde…
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Le président Macron a aussitôt confirmé mes dires. En précisant, effectivement, que ces deux choses n’avaient rien à voir! Mais rien du tout! Il s’est même un peu fâché.