C’est tout de même utile d’avoir une
cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg
. Même pour nous autres, citoyens de la plus parfaite démocratie au monde. Il est rassurant de penser que là-haut, à Strasbourg, les juges, les procureurs et les avocats ne se réunissent pas le
vendredi après-midi
pour résoudre entre copains les cas de la semaine autour d’un verre de fendant, comme dans certains bleds que je ne citerai pas. Parce que la CEDH, justement, elle juge au nom des droits de l’homme et non du droit du plus fort.

Quoique… L’espace d’un instant, j’ai pu en douter. La CEDH a confirmé l’autre jour la condamnation d’une Autrichienne qui avait traité Mahomet de pédophile pour avoir épousé une petite fille. De quoi je me mêle? Il lui aurait suffi de consulter M. Cohn-Bendit pour savoir que l’amour entre générations n’a rien à voir avec l’âge — ni avec une religion en particulier.

Ce qui m’a tout de même un peu étonné, moi, c’est que la cour européenne des droits de l’homme ait rendu son jugement, je le cite, au nom de «l’obligation d’assurer la coexistence pacifique de toutes les religions… en garantissant la tolérance mutuelle». Moi qui croyais qu’une cour de justice ne devait juger qu’au nom du droit et non de ses possibles conséquences.

(Un droit, soit dit entre parenthèses, qui, en Europe du moins, s’occupait jusqu’ici des gens et non des collectivités, fussent-elles religieuses. Par exemple, le sacro-saint droit à la liberté de pensée et d’expression. L’humain ne pense et ne s’exprime librement qu’à l’unité. Au pluriel, il ne fait que bêler.)

Mais, en conceptualisant, j’ai fini par comprendre. Mettons-nous à la place de ces juges. Ils ont dû raisonner un peu comme un arbitre de foot. Siffle-t-on un pénalty contre l’équipe qui monte quand on a un stade survolté dans le dos? Non. Au contraire: on calme d’abord le stade. Donc, le pénalty, mieux vaut le siffler contre l’équipe qui fait pas d’histoires. L’important, c’est de sortir vivant de l’arène.

Tous les tribunaux n’ont pas cette sagesse. Regardez ce qui s’est passé au Pakistan avec ces juges de la Cour suprême qui ont acquitté Asia Bibi. Pour mémoire, Asia Bibi, c’est cette chrétienne qui avait eu la mauvaise idée de boire un verre d’eau à la même carafe que des femmes musulmanes. Au lieu de laisser faire les coutumes (et donc la peine de mort), les juges pakistanais ont voulu appliquer le droit des individus importé d’Europe. Voyez le résultat: un gouverneur assassiné pour avoir pris son parti, manifestations monstres, saccages, fatwas à l’encontre des magistrats…

Si la communauté islamique locale estimait que cette chrétienne méritait la peine de mort pour son blasphème, soustraire cette femme à son châtiment, n’est-ce pas une insulte à la piété des musulmans? Une entorse manifeste à la coexistence de toutes les religions, et même à la tolérance mutuelle puisque la vague d’intolérance a fini par bloquer le pays.

Rien de tout cela ne serait arrivé si les juges d’Islamabad avaient eu la sagesse de leurs collègues de Strasbourg. Au lieu de ça, ils nous exportent encore leur problème en nous obligeant au nom de nos principes d’accueillir cette femme menacée et sa famille.

Mais la CEDH peut encore sauver la paix des religions en Europe. Elle peut condamner la France et l’Italie pour avoir proposé l’asile à cette blasphématrice.

  • Chronique diffusée dans les Beaux parleurs du 18 novembre 2018. Version audio.

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