Pas de génocide en Croatie? Ne le dites pas deux fois!
Les Serbes n'ont pas commis de génocide en Croatie, décrète la CPI, classant du même coup la plainte de l'Etat croate. Cela nous remet en mémoire l'une des farces les plus hypocrites de ces dernières années. Assurée du soutien aveugle de ses protecteurs occidentaux, la Croatie a déposé une série de plaintes pour crimes de guerre et génocide, totalement dénuées de fondement, mais qui ont servi à masquer ses propres actes dans les années 1990.
Celui qui a l'initiative a toujours davantage de chances d'être entendu que celui qui subit. La tactique du «crier au loup» est judicieuse et logique, pour autant qu'on puisse se la permettre. Or la Croatie, pendant très longtemps, a pu tout se permettre. Dès avant sa sécession en 1991, elle a opiniâtrement et intelligemment promu ses intérêts et son image, soutenue et conseillée il est vrai par des sponsors de poids: l'Allemagne et les Etats-Unis. Elle a l'avantage d'une idéologie nationale simpliste et carrée, d'une politique d'Etat accordée à cette idéologie, mais aussi d'une habitude bien rodée de quérulence juridique et d'une totale absence de pudeur (deux caractéristiques relevées au fil du temps par nombre d'observateurs, et pas seulement hostiles). En face: une Serbie, reléguée, conspuée, bombardée, assumant seule — par défaut — l'héritage compromettant de la Yougoslavie communiste et devant prendre en compte une population dispersée entre plusieurs nouveaux Etats, une Serbie oscillant sans cesse entre son instinct souverainiste et sa diplomatie brouillonne, entre l'Est et l'Ouest, entre sa pugnacité traditionnelle et la couardise de ses élites.
D'un côté, donc, une volonté focalisée comme un laser, servie par une classe politique quasi unanime quant à ses intérêts nationaux. De l'autre, une incurable dispersion de forces et une élite dirigeante constamment divisée. De part et d'autre, par ailleurs, des nomenklaturas baignant dans le cynisme, l'inculture et la corruption.
La Croatie a déployé des trésors de détermination, de coordination et d'habileté pour défendre des buts illégitimes et blanchir des actions criminelles. La Serbie, dans le même temps, a fait preuve d'une remarquable inaptitude à faire valoir ses droits les plus élémentaires ainsi que d'une indolence incompréhensible face aux accusations monstrueuses et parfois grotesques portées contre elle. Cette défense — j'en sais quelque chose en tant que secrétaire de feu l'Institut serbe de Lausanne et rédacteur de la revue Raison garder — a toujours été abandonnée, côté serbe, à l'initiative privée. Le soutien étatique en ces matières a toujours été suspendu aux revirements du pouvoir de Belgrade et tenait de la planche pourrie.
La CPI a livré une réponse juste et bienvenue, mais la question n'était pas la bonne. Il eût été plus pertinent, au vu des faits avérés, de se demander si la Croatie, dans les années 1990, n'a pas commis un génocide sur les populations vivant sur son territoire. Le nettoyage ethnique total de la Krajina (225'000 expulsés, 10'000 morts et disparus environ), qui sert d'arrière-plan à mon roman Le Miel, constitue de loin, par son envergure et ses conséquences, le plus important crime de guerre de tout le conflit yougoslave. Il a été ordonné par le gouvernement croate, exécuté par son armée et continue d'être célébré comme une fête nationale. Cela n'a pas empêché le TPI de relaxer les deux généraux responsables de l'exécutif, Markač et Gotovina. Par ailleurs, la classe politique, les médias et même les personnalités du show-biz croates (tel son premier président lui-même, Franjo Tudjman, révisionniste historique 1, ou le chanteur fascistе Marko Perković Thompson qui draine les foules) ont fourni suffisamment de déclarations et d'actes serbophobes au cours du dernier quart de siècle (pour ne pas remonter plus haut!) pour alimenter l'accusation de projet de génocide fondé sur une idéologie raciste élaborée et diffusée au plus haut niveau. Le simple fait qu'on ait réutilisé sans modification les armes d'Etat de la Croatie oustachie de Pavelić, qu'on ait réhabilité ce régime explicitement génocidaire en attribuant notamment des noms de rues à ses dirigeants, aurait suffi dans n'importe quel autre cas à faire condamner la Croatie moderne pour révisionnisme, nettoyage ethnique et oppression des minorités devant toutes les cours légales et morales du monde moderne.
Mais la Croatie des années 1990, tout comme l'Ukraine de 2014, était un gladiateur de l'Occident face au monde slave orthodoxe. Or un gladiateur est destiné à la mise à mort, mais d'ici là, il est nourri, oint et choyé. Ainsi l'UE a-t-elle accueilli cette même Croatie en jetant un voile opaque sur son histoire récente et sans jamais l'interroger sur son idéologie nationale. Du point de vue de sa propre destinée, cette indulgence de ses sponsors est un cadeau empoisonné qui la livre à des élites irresponsables et la condamne à une relation durablement hostile avec son principal voisin.
Quoi qu'il en soit, nous voilà réduits à nous féliciter de ce que la Croatie n'ait pas réussi à faire condamner la Serbie pour génocide. La Serbie est, de toutes les républiques de l'ex-Yougoslavie, celle qui accueille le plus grand nombre de réfugiés — environ un million de personnes — issus de la guerre civile, et dans les conditions les plus précaires. Ce fait indiscutable aurait dû servir de critère primordial pour juger les torts des uns envers les autres. Il a simplement été ignoré et continue de l'être à ce jour.
Modification conflictuelle sur 4 février 2015 15:49:11 :
Les Serbes n’ont pas commis de génocide en Croatie, décrète la CPI, renvoyant dos à dos les accusations de génocide échangées entre les deux ex-républiques yougoslaves. Cela nous remet en mémoire l’une des farces les plus hypocrites de ces dernières années. Assurée du soutien aveugle de ses protecteurs occidentaux, la Croatie a déposé une série de plaintes pour crimes de guerre et génocide, totalement dénuées de fondement, mais qui ont servi à masquer ses propres actes dans les années 1990. Ce match nul face aux timides démarches de la Serbie est en réalité une victoire.
Celui qui a l’initiative a toujours davantage de chances d’être entendu que celui qui subit. La tactique du « crier au loup » est judicieuse pour autant qu’on puisse se la permettre. Or la Croatie, pendant très longtemps, a pu tout se permettre. Dès avant sa sécession en 1991, elle a opiniâtrement et intelligemment promu ses intérêts et son image, soutenue et conseillée il est vrai par des sponsors de poids : l’Allemagne et les États-Unis. Elle a l’avantage d’une idéologie nationale simple et carrée, d’une politique d’État accordée à cette idéologie, mais aussi d’une habitude bien rodée de quérulence juridique et d’une totale absence de pudeur (deux caractéristiques relevées au fil du temps par nombre d’observateurs, et pas seulement hostiles). En face : une Serbie, reléguée, conspuée, bombardée, assumant seule — par défaut — l’héritage compromettant de la Yougoslavie communiste et devant prendre en compte une population dispersée entre plusieurs nouveaux États, une Serbie oscillant sans cesse entre son instinct souverainiste et sa diplomatie brouillonne, entre l’Est et l’Ouest, entre sa pugnacité traditionnelle et la couardise de ses élites.
D’un côté, donc, une volonté focalisée comme un laser, servie par une classe politique quasi unanime quant à ses intérêts nationaux. De l’autre, une incurable dispersion de forces et une élite dirigeante constamment divisée. De part et d’autre, par ailleurs, des nomenklaturas baignant dans le cynisme, l’inculture et la corruption.
La Croatie a déployé des trésors de détermination, de coordination et d’habileté pour défendre des buts illégitimes et blanchir des actions criminelles. La Serbie, dans le même temps, a fait preuve d’une remarquable inaptitude à faire valoir ses droits les plus évidents ainsi que d’une indolence incompréhensible face aux accusations monstrueuses et parfois grotesques portées contre elle. Cette défense — j’en ai su quelque chose à l'époque en tant que secrétaire de feu l’Institut serbe de Lausanne et rédacteur de la revue Raison garder — a toujours été abandonnée, côté serbe, à l’initiative privée. Le soutien étatique en ces matières est suspendu aux revirements du pouvoir de Belgrade et se résume à une planche pourrie.
Des routes engorgées de civils sur des centaines de kilomètres, août 1995
L’outrecuidance a payé. Dans le contexte médiatique et politique hérité des années 1990, la CPI ne pouvait faire davantage que proclamer le pat. Or il eût été pertinent, au vu des faits avérés, de se demander si la Croatie, dans les années 1990, n’a pas commis un génocide sur les populations vivant sur son territoire. Le nettoyage ethnique total de la Krajina (225’000 expulsés, 10’000 morts et disparus environ), qui sert d’arrière-plan à mon roman Le Miel, constitue de loin, par son envergure et ses conséquences, le plus important crime de guerre de tout le conflit yougoslave. Il a été ordonné par le gouvernement croate, exécuté par son armée et continue d’être célébré comme une fête nationale. Cela n’a pas empêché le TPI de relaxer les deux généraux responsables de l’opération, Markač et Gotovina, tout en condamnant durement des responsables civils et militaires serbes pour des faits objectivement bien moindres. Par ailleurs, la classe politique, les médias et même les personnalités du show-biz croates (tel le premier président croate démocratiquement élu, Franjo Tudjman, révisionniste historique1, ou le chanteur fascistе Marko Perković Thompson qui draine les foules) ont fourni suffisamment de déclarations et d’actes serbophobes au cours du dernier quart de siècle (pour ne pas remonter plus haut!) pour alimenter l’accusation de projet de génocide fondé sur une idéologie raciste élaborée et diffusée au plus haut niveau. Le simple fait qu’on ait réutilisé telles quelles les armoiries de la Croatie oustachie de Pavelić, qu’on ait réhabilité ce régime explicitement génocidaire en attribuant notamment des noms de rues à ses dirigeants, aurait suffi dans n’importe quel autre cas à faire condamner un tel État pour révisionnisme, nettoyage ethnique et oppression des minorités devant toutes les cours légales et morales du monde moderne.
Concert de Thompson
Mais la Croatie des années 1990, tout comme l’Ukraine de 2014, était un gladiateur de l’Occident face au monde slave orthodoxe. Or un gladiateur est destiné à la mise à mort, mais en attendant il est nourri, oint et choyé. Ainsi l’UE a-t-elle accueilli cette même Croatie en jetant un voile opaque sur son histoire récente et sans jamais l’interroger sur son idéologie nationale. Du point de vue de son propre avenir, cette indulgence de ses suzerains est un cadeau empoisonné qui la livre à des élites irresponsables et la condamne à une relation durablement hostile avec son principal voisin.
Quoi qu’il en soit, nous voilà réduits à nous féliciter de ce que la Croatie n’ait pas réussi à faire condamner la Serbie pour génocide. Les esprits moins attentifs et moins informés auront refermé le dossier en soupirant « Ah, ces Balkaniques… » Quant à la réalité et à la justice… qui a encore la force et le courage de les soupeser ? La Serbie est, de toutes les républiques de l’ex-Yougoslavie, celle qui accueille le plus grand nombre de réfugiés — environ un million de personnes — issus de la guerre civile, et dans les conditions les plus précaires. Ce fait indiscutable aurait dû servir de critère primordial pour juger les torts des uns envers les autres. Noyé sous les manœuvres de propagande, il a simplement été ignoré et continue de l’être à ce jour.
1 : Voir ce qu’en disent ses détracteurs, comme Shalom Magazine, ou encore mieux ses alliés, telle la Revue d’histoire révisionniste.
PS | ||
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-- | Sur la thématique générale du génocide et de son exploitation politique, une lecture incontournable: De l'extermination d'Eric Werner! |
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Voir ce qu'en disent ses détracteurs, comme Shalom Magazine, ou encore mieux ses alliés, telle la Revue d'histoire révisionniste. ↩