Traduire l’intraduisible avec l’aide d’un rognon
Inat, c’est le mot le plus intraduisible de la langue serbe C’est aussi — hélas — tout à la fois la plus parfaite synthèse du génie national et le travers le plus commun chez les sujets de cette nation. Il est la cause de millions de morts, de milliers de disputes sans objet et de centaines d’exploits magnifiques. Les laborieux traducteurs le rendent par « bravade », « esprit de contradiction », « panache » et mille périphrases hors de propos L’une des vertus essentielles de l’inat, c’est qu’il est bref, sec et sonnant comme une claque.
Le plus irritant, quand on connaît et qu’on aime la langue et la mentalité françaises, c’est qu’on finit par l’avoir au bout de la langue, ce mot qui pourtant n’y existe pas On le retrouve à l’état d’esquisse chez le citoyen Regimbart de l’Education sentimentale de Flaubert On le repère, simplifié, surjoué, dans la quenelle de Dieudonné On l’admire dans l’héroïsme gratuit de la furia francese, que ce soit sur les champs de bataille, dans les duels ou les exploits d’alcôve On le capte dans la gouaille de Villon et de Simonin, de Gabin et d’Audiard Et il trouve sa statue, monumentale, dans les trop-pleins du grand Depardieu.
« Je vous emmerde ! » pourrait être sa devise Mais de quoi inat est-il le nom Comment en restituer, sinon le sens exact, du moins la très subtile saveur ?
Peut-être ainsi.
Rentrer seul chez soi après un apéritif dînatoire à la noix pour se préparer à l’heure du coucher, alors qu’on n’on n’a même plus faim, un rognon de porc flambé à la šljivovica sur son lit de petits pois, et se l’appuyer en l’arrosant d’un saint-chinian canaille, en pensant tour à tour aux islamistes, à sa diététicienne, à son prêtre et à son médecin, et en marmonnant entre deux bouchées « Ils peuvent toujours venir ! »
L’inat, c’est ça.
Diffusé via Une plume dans les rouages le 16 septembre 2015.