Les néo-réacs ont-ils gagné ? Existent-ils, d’abord ?
A la demande de Michel Audétat, du Matin Dimanche, j’ai livré mon opinion sur la prétendue victoire des « néo-réactionnaires ». Ci-dessous, mon texte et la page complète en pdf.
Les «néo-réactionnaires» n'ont pas gagné la bataille des idées, car l'équipe en question ne participait pas au championnat. Elle n'a même pas de maillot commun. Qui en est, qui n'en est pas? Les néo-réacs viennent-ils de la gauche populaire athée comme Onfray, de la gauche intello-dandy-gay comme Renaud Camus ou de la vieille droite catholique comme de Villiers? Peuvent-il se réclamer à la fois de Céline et de Vallès, d'Orwell et de Nietzsche? Peuvent-ils être francs-maçons? Quel est le dénominateur commun d'un Finkielkraut, d'un Michéa, d'une Elisabeth Lévy et d'un Houellebecq, sinon le talent et le cœur qu'ils mettent à ce qu'ils font? Est-ce une affaire de tempérament polémique et de recul sceptique, mâtiné d'amour de la langue? Auquel cas, le «néo-réac» n'est rien d'autre que l'honnête homme au sens classique du mot et cette distinction remplace avec grâce les palmes académiques dévaluées qu'on décerne à tant de cuistres obscurs.
De fait, cette appellation est une contradiction dans les termes qui ne dit absolument rien sur le clan qu'elle est censée définir. Elle révèle en revanche les propensions à l'abstraction et à la manipulation du milieu qui l'a lancée. En lançant de tels amalgames, les chiens de garde du dogmatisme intellectuel cherchent à plier dans un même sac le vaste éventail de ceux qui ne pensent pas comme eux, et donc à simplifier leurs idées. Faisant oublier, du même coup, qu'ils forment eux-mêmes une chapelle monolithique dans ses références et ses modes de pensée. Je parle de cette «élite» où la conviction tient lieu de raison, où le langage façonne la réalité plutôt que l'inverse et dont et l'étiquetage policier est l'une des passions. Les «néo-réacs», s'ils existent, sont tous ceux qui n'y ressemblent pas.
Cela dit, l'affadissement des anathèmes, passant des quasi-pénaux «facho», «nazi» et «d'extrême droite» au badin «réactionnaire», montre l'étendue du pouvoir qu'ils ont perdu. Pouvoir intellectuel et moral, s'entend, car le pouvoir concret, au sens de l'occupation des postes et des charges, de l'accaparement des subsides et de la direction des programmes scolaires et culturels, demeure très largement entre leurs mains. Et ce pouvoir-là, ils le défendent bec et ongles, non par la lutte intellectuelle, mais avec le génie manœuvrier des fonctionnaires de Gogol et l'âpreté des boutiquiers balzaciens.