Vidéo: dans l'arrière-cuisine du "Miel"
Le samedi 18 octobre, je me suis prêté à un exercice risqué. Un de tout premiers lecteurs et critiques de mon roman, Daniel Bujard, m'a proposé une confrontation sans filet, devant le public. Son idée? Ne pas s'arrêter au message littéraire de mon roman, mais pousser l'auteur à en expliciter le message historique et politique. Quatre extraits lus seraient suivis d'études de textes… et plus si affinités.
Il avait annoncé le programme, en toute franchise. Cela avait quelque chose d'agaçant, d'à-rebrousse-poil. Si j'ai écrit un roman, c'est parce que je croyais et que je crois en la suprématie de la littérature. Un auteur n'a ni patrie, ni opinion, ni sexe. Il n'a qu'une langue et un univers à transmettre. Qu'il soit bien pensant ou politiquement incorrect, on s'en fiche. L'univers qu'il restitue obéit aux règles de l'art et du roman, et non à celle de la pensée, de l'argumentation ou que sais-je. Et voici qu'on me ramenait à ce langage hautement inefficace qui ne convainc plus personne: le langage des faits et des arguments historiques.
La vérité romanesque est infalsifiable et permanente. Tout le contraire de la vérité politique.
Il n'empêche: mon Miel coule dans les fissures d'un conflit séculaire. Le plus ancien et le plus tenace de notre civilisation. Il se déploie dans un théâtre de guerre, à un moment où la poussière est à peine retombée et où les décombres fument encore. Il concentre, sur le mode laconique, une somme d'expériences et de souvenirs qui m'habitent depuis toujours, peut-être même d'avant ma naissance.
J'ai traversé ce questionnaire habile et judicieux comme un halluciné. Je ne me souviens que d'un passage: celui où j'évoque le malheureux parrain de mon premier baptême — catholique —, un homme fin, un avocat, qui avait noyé dans l'alcool son impossibilité de vivre en tant que fils d'un bourreau sanguinaire. A lui seul, le destin de cet homme justifierait plusieurs volumes de souvenirs et de romans et concentrerait l'ensemble des destinées européennes du XXe siècle. Il n'apparaît pas même dans les coulisses du Miel. Pourquoi ai-je pensé à lui ce soir-là?
- Vidéo de l'entretien (1 h 40 environ).
Les questions de Daniel Bujard sont au fond de l'article.
Un mot sur le théâtre
Phalanstère? Communauté? Le théâtre Interface animé par André Pignat, et construit par les mains mêmes de sa troupe, est un laboratoire d'expression totale: corps-texte-musique. C'est un lieu où souffle le vent de la liberté. Ses rideaux noirs sont autant de drapeaux anarchistes. Ses gradins abrupts fauteuils rouges
Nul n'est prophète en son pays. C'est pourquoi Interface a reçu cet été le Prix du public du Festival d'Avignon! C'est pourquoi Interface tourne dans le monde entier, de Corée en Ecosse. C'est pourquoi Interface s'est constitué en Fondation, et bientôt aussi en société anonyme, pour prôner son idée radicale et conserver son indépendance financière et sa liberté de mouvement.
Il est capital de soutenir et de suivre Interface. L'enjeu, ici, n'est pas que de l'art, parce que l'art d'Interface n'est pas que de l'art: c'est toute une philosophie de la vie où nous sommes comme chez nous.
Nous? Vous savez bien qui.
Les questions de Daniel Bujard
Questions premier passage : (p. 9-13)
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Un des personnages principaux de votre ouvrage c’est Vera l’herboriste, on a un peu le sentiment qu’elle est à l’image des Balkans, farouche et rebelle, c’est l’idée que vous aviez d’elle en créant son personnage ?
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A la lecture de votre ouvrage plusieurs images me viennent à l’esprit : comme « La maison dorée de Samarkand », tiré de la bande dessinée de Corto Maltese, créée par Hugo Pratt ou encore les aventures de Tintin avec le Sceptre d’Ottokar, est-ce des ouvrages qui vous ont inspiré dans la composition de votre livre ? Si non, quels sont-ils ?
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J’ai reçu votre ouvrage comme une sorte de plan IKEA expliquant de manière très didactique et précise l’histoire tragique des Balkans, partageriez-vous ce sentiment ?
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Dans ce premier passage, vous évoquez un sentiment étrange, celui de « la pitié désagréable », avez-vous l’impression que c’est une sensation qui a envahi l’Europe à la suite du drame des Balkans ?
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Un autre mot-clé usité dans ce premier passage est celui de « honte », comme si, avec le recul, les Balkans prenaient enfin conscience de la tragédie et de ses incidences, c’est un avis que vous partagez ?
Questions deuxième passage : (p. 49-53)
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Slobodan Despot, qu’entendez-vous par « l’air ulcéré que prennent les Suisses lorsqu’ils font une bonne action (…) » ?
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Au-delà, ce passage est très important, puisque les personnages prennent véritablement conscience que les choses ne seront plus jamais comme avant, que le fil est définitivement rompu, avez-vous envisagé ce passage en tant que tel ?
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Il y est développé une image très forte, celle de la carte de l’ancienne Yougoslavie dépliée, une sorte d’icône représentative du rêve Yougoslave disparu. Finalement, cette idée de la Yougoslavie, telle qu’imaginée au sortir de la Première Guerre mondiale, n’a-t-elle pas été qu’une immense utopie ?
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Face à l’entreprise que Vesko s’engage à suivre, rechercher son père de Serbie en Croatie, vous parlez avec des mots très forts et vous évoquez une affaire « dangereuse », « mortelle », vous pensez que ce cancer qui s’est emparé de cette région du monde disparaîtra un jour ?
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A votre avis, quelles ont été les erreurs de l’EU dans cette tragédie, vous évoquez la politique internationale comme une succession de décisions aux conséquences plus qu’incertaines ?
Questions troisième passage : (p. 71-75)
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Dans ce passage, vous évoquez le souvenir glaçant du camp de Jasenovac et son cortège d’horreurs commises par les Croates, à votre avis l’EU a-t-elle fait une erreur en accueillant la Croatie de manière trop précipitée dans son giron ?
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En d’autres termes, cela n’a-t-il pas été entrepris dans le but de gommer cette fameuse histoire bien trop encombrante aux yeux de Bruxelles ?
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On a tout de même un peu le sentiment que l’EU a voulu faire payer aux Balkans son attitude durant la Seconde Guerre mondiale, mais surtout cette position étrange qui a été la sienne durant la Guerre froide ?
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Au-delà, c’est un passage extrêmement fort qui décrit avec beaucoup de froideur la terreur qui s’est emparée de cette région du monde après la guerre. Un peu comme si le choc n’avait pas encore fini d’irradier une société encore traumatisée par ces événements, c’est également votre avis ?
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Et puis vous avez cette phrase évocatrice : « Mais savait-il ce jeune homme mûri dans la guerre, tout ce que son prisonnier, de dix ans son aîné, avait perdu ? » On en revient à cette nostalgie évoquée précédemment, c’est une idée qui semble vous habiter très profondément ?
Questions quatrième passage : (p. 109-112)
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« Seul celui qui sait est justiciable » écrivez-vous, c’est une phrase lourde de sens qui me semble centrale, alors à votre avis Slobodan Despot, les hommes ont-ils su ce qu’ils ont fait dans les Balkans ?
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« On ne sait même plus le nom des démons dont cet énergumène était habité (…) », là encore, une phrase significative de votre livre. Qui recèlent des paradoxes troublants, le miel, le véritable héraut de votre ouvrage agissant comme une sorte de catharsis face à la sauvagerie drapée dans le costume d’un pays disparu en quelques semaines, à votre avis les plaies vont-elles se refermer un jour ?
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L’Allemagne, le Vatican, les États-Unis, inscrits comme autant d’« ennemis » de la Serbie. Diriez-vous comme Jáchym Topol, l’auteur du livre « L’Atelier du diable », que dans l’UE il ne peut y avoir de « fosses communes » pleine de cadavres. Que cette « mondialisation » devra passer par l’« amnésie » de l’histoire. En d’autres termes, qu’avant d’avoir droit à l’Euro et à sa pseudo-cour des miracles, il faudra passer par une perte d’idéal et de mémoire sur l’autel de la mondialisation ?
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Lors de l’une de nos récentes conversations, vous m’avez parlé d’une chose qui m’a beaucoup frappé, c’est l’histoire d’Achille dans l’Iliade, le fameux : « on a gagné et après ? ». Finalement, et votre livre le décrit parfaitement, on n’a l’impression que toute cette tragédie est un immense gâchis, un avis que vous partagez ?
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Enfin Slobodan Despot, j’ai entendu à votre sujet un commentaire qui m’a fait sourire et qui disait : « Slobodan on savait qu’il sait faire des livres, par contre on ne savait pas qu’il savait en écrire ! », alors dites-nous Slobodan Despot, pour quand est votre prochain ouvrage ?