L'histoire connaît-elle le hasard?

La petite ville de Slaviansk, emblème du soulèvement séparatiste contre la junte de Kiev — et en tant que telle vouée à la destruction —, se trouve à l'angle nord-ouest d'une province peuplée jadis sur octroi du Tsar par des émigrés serbes et qui portait le le nom de Slavianoserbie.

Une importante population serbe, chassée à la fois par les guerres turques et la pression confessionnelle de l'Empire autrichien, avait colonisé cette région pratiquement déserte à la suite de la IIe grande Migration des années 1740, magistralement évoquée dans le chef-d'oeuvre épique de Milos Tsernianski *Migrations* (éd. L'Age d'Homme, Prix du meilleur livre étranger en France 1986).

Une autre colonne de migrants s'était établie plus à l'ouest, à la frontière de la Pologne et de l'actuelle Ukraine, dans une province appelée Nouvelle-Serbie.

L'ancienne Slavianoserbie, adossée à la Russie, est au coeur de la lutte pour la fédéralisation de l'Ukraine. Ses habitants sont pour une bonne part des Serbes russisés qui se souviennent de leurs origines.

A 130 km à l'est de Slaviansk, dans la province de Lougansk, se trouve une bourgade de 12'000 habitants au nom apparenté: Slavianoserbsk (Славяносербск). Sur sa place centrale trône un grand monument à la fraternité serbo-russe, représentant un Cosaque, un Russe et un Serbe enlacés, avec la devise : «Il n'est pas de liens plus sacrés que ceux de la fraternité» inscrite en russe, en ukrainien et en serbe. Le musée municipal, richement doté, conserve le souvenir de l'immigration serbe: cartes militaires et autres documents, et même une copie du fameux tableau de Paja Jovanović, «La Migration des Serbes» (figurant en couverture du roman de Tsernianski).




Il est fascinant de penser que les descendants des soldats garde-frontière de la Krajina, réfugiés dans la grande (U)krajina de l'Est, viennent de reprendre les armes contre les descendants et les alliés de ceux qui cherchèrent à les mater et à les convertir de force dans leurs foyers historiques, et qui les en ont définitivement chassés en 1995, lors de l'opération "Tempête", exécutée par la Croatie avec un encadrement américain. Si le conflit de civilisations existe quelque part, les (U)Krajinas en sont la ligne d'arête.

«Les migrations existent. La mort n'existe pas. » (Milos Tsernianski)