porte de toilettes

En ce dimanche de canicule, j'attendais mon train dans la charmante petite gare tout en granit de Hexenhöhle, dans les Alpes suisses. J'ai voulu remplir ma gourde à la fontaine, également en granit, qui dans mon souvenir était adossée au pavillon des toilettes. Et pendant que j'y étais, autant profiter de la course pour lâcher un fil...

Le pavillon des toilettes, je ne l'ai pas retrouvé. Il avait été remplacé par un cube flambant neuf, où l'entrée des cabinets était devenue celle d'un magasin express, genre RacketShop, aux prix tasérisants; mais qui irait barguigner à cinq minutes du départ? La fontaine en granit? N'y pensez pas. Il n'en subsistait pas même le robinet. A son emplacement, j'ai découvert deux portes lourdes en inox immaculé, qui auraient aussi bien pu receler un safe de l'UBS, une chambre froide ou l'entrée d'un QHS. Il me semble d'ailleurs avoir vu les mêmes dans une préventive ultramoderne dont les Suisses sont fiers.

Heureusement, des pictogrammes annonçaient sans équivoque la fonction de ces lieux, en plus d'un autre détail: la machine à sous, sur la droite, qui voulait bien passer au vert si vous y mettiez un franc (un euro). Si vous n'aviez pas la monnaie? Eh bien, vous pouviez vous compisser...

J'ai envisagé de sacrifier une pièce, davantage pour l'eau que pour le pipi. Puis j'ai songé que le mélangeur était sans doute trop bas pour une gourde (le sens pratique ne fait pas partie du cahier des charges des architectes contemporains), et probablement réglé à vie sur "tiède".

Auquel cas, en plus du franc pour l'évacuation, j'aurais dû débourser deux ou trois francs pour l'hydratation dans le coupe-gorge d'à côté. Trois francs pour un demi-litre d'eau plate qu'on rebaptise minérale pour détrousser les gogos.

Bref, je me suis retenu. Pour oublier la sécheresse de ma gorge et le lobbying de ma vessie, j'ai décidé de décrire comment on transforme, à traits minimes mais constants, un pays jadis adorable en un environnement mesquin et carcéral sans humanité et sans aménité.

PS Le continuum stylistique qui, dans les sociétés très développées, va des prisons à l'habitat privé en passant par les écoles, l'industrie et les lieux publics devrait inspirer quelques inquiétudes, voire la révolte. Curieusement, il ne semble plus déranger personne.