Quelque chose survivra
Configuration étrange. Dans un train bondé du vendredi après-midi, je répondais à mes e-mails en écoutant de la musique. Un adolescent à lunettes s’est assis en face de moi et s’est mis à dessiner au crayon sur un bloc. Des visages, des mains, des pieds, esquissés d’une main sûre. Puis il a ouvert un livre, un essai, et s’est mis à lire en penchant la tête, les lèvres à peine entrouvertes, avec cette candeur concentrée des moines, des enfants et des madones de Léonard. Derrière moi braillaient des recrues. Dans mes oreilles, à ce moment précis, Midnight Train to Georgia, un hymne soul à l’amour et à l’échec, à l’amour dans l'échec. « I’d rather be with him in his world than without him in mine », chantait Gladys Knight.
Ma gorge s’est serrée, puis je n’ai plus rien vu. Quelque chose survivra, quoi qu’il puisse nous arriver, me disait une voix. L’ado a levé les yeux. Je lui ai souri, l’air de dire: « ne t’en fais pas ». Il est retourné à son livre, captivé par la lecture. J’étais accablé de tristesse et de bonheur, comme si je venais de retrouver mon fils. Quelque chose survivra.