«L’éveil? Ce peuvent être des rencontres. Ce peut être ce roman.»
Le Rayon bleu ou la nécessité du regard
L’éditeur et écrivain serbe n’est pas un intellectuel de salon. Plutôt un homme aux engagements affirmés. Il a donné en 2014 un roman très remarqué: Le Miel (Gallimard). De ces textes légitimant immédiatement un romancier. Le Miel, un grand roman osant regarder le drame des guerres de Yougoslavie. Entre Serbie et Croatie, entre Belgrade et la République serbe de Krajina. Autour de la violence perpétrée contre les Serbes de Croatie. Bien que concerné dans sa chair, l’écrivain ne posait pas un regard accusateur sur ce drame. Un regard de devoir. C’est plus honnête que tous les «devoirs de mémoire», souvent objets de bonne conscience.
Une intrigue presque policière
Le regard, c’est autre chose. Littéraire. Et le regard est aussi au cœur du Rayon bleu, second roman de Despot paru à la même enseigne. Un regard sur ce que nous nous devons. À nous-mêmes. Français. Européens. Si Le Miel était d’une certaine manière le roman des origines, Le Rayon bleu est celui de la France de Slobodan Despot. Un spectre. Il y a dans ce roman une intrigue presque policière, aux abords de l’espionnage. Un leurre lié à l’époque où se déroule l’histoire, la Guerre froide. Au fait que le nucléaire en était le socle. Une écriture, avant tout.
Le spectre du nucléaire
Despot interroge la Limite. Le roman s’ouvre sur un accident nucléaire et caché, en Russie. Pages exceptionnelles. Sommes-nous encore conscients de la Limite? Les protagonistes du roman sont des veilleurs. Leurs ennemis, tapis dans l’ombre des pages. Des veilleurs, un cercle discret cuirassant la Limite. Ce qui est indépassable à échelle humaine. L’éveil? Ce peuvent être des rencontres. Ce peut être ce roman.
Le Rayon bleu est un livre qui transmet une évidence trop évidente pour les individus déréalisés que nous devenons: la vie dans le monde et le monde dans la vie doivent être protégés. Nous avons ce devoir. Nous sommes ces hommes qui possédons, comme nous la possédions durant la Guerre froide, la capacité nucléaire de mettre un terme à la vie.
L’hiver vient !
«L’hiver approche», dit une célèbre série. Il approche encore, il a toujours approché depuis que nous avons nucléarisé nos existences, semble répondre Despot. Nous sommes toujours sous la menace de la nucléarisation de la vie, du Rayon bleu, et nous ne le voyons pas. «Pendant ce temps, les sous-marins rampent quelque part sous les mers, dociles et indolents, attendant les ordres.» Despot écrit sur la déréalisation du réel, dont une prémisse se situe peut-être du côté de la Krajina. Et le présent dans nos existences en compagnie du Rayon bleu. Invisible. Nous avons perdu le regard de ce que nous sommes. Le Rayon bleu en reprend le cours. Un voyage initiatique en quête du réel. Un grand livre, urgent. ❑
Paul Vermeulen
Slobodan Despot, Le Rayon bleu, éditions Gallimard, mai 2017, 192 pages, 17 euros.
Publié dans L’Action Française 2000 n° 2955 – Du 18 au 31 mai 2017.