Grâce, entre autres, à l’enthousiasme de mon jeune éditeur et ami Bertrand Lacarelle, les éditions Gallimard viennent de publier, après le monument Morand-Chardonne, la Correspondance (1950-1962) entre Paul Morand et Roger Nimier. Le bandeau de couverture qui annonce le guide du parfait hussard est pleinement justifié. Pas de philosophie ici, mais quelques galops, de franches bourrades et une célébration sans arrière-pensée des plaisirs de la vie.

Ces lettres rapides, simples, pratiques, amicales ou médisantes, cette farandole de cartes postales, de prospectus, de bouts de nappe en papier, d’en-têtes d’hôtel biffées, ce catalogue d’éloges, d’instructions éditoriales, de prescriptions boursières, de menus, de réclames, sont un bain de jouvence. On s’y replonge dans un monde encore récent qui était déjà vieux, mais tellement plus jeune que le nôtre. Un monde où l'on pratiquait encore la désinvolture ! On y discute boutons de manchette, prix littéraires, alcools et bagnoles, on y feint de se tancer pour trois litres de Vouvray ou pour du deux cents à l’heure, on y aligne sans y penser les piques à l’emporte-pièce sur les femmes, les nations, les idées à la mode et les moeurs bizarres.

Bref, l’on y foule gaîment à pieds nus — enfin, en espadrilles et pantalons de toile — des prés verts désormais devenus des champs de mines.

Et, surtout, ces deux écrivains de race, le jeune lévrier Nimier emporté trop tôt dans son Aston Martin et le vieux lion Morand qui aura traversé le siècle, nous ravivent la nostalgie d’un mâle asile que nous avons tant de peine à retrouver : la confiance, la complicité et l’abandon parfait qui caractérisent le lien entre un père et un fils d’élection. A l'ère des PACS, des « mariages pour tous » et autres inventions juridico-puritaines, contempler un pur et candide amour d’hommes est aussi jouissif que d'allumer un cigare dans une maternité.

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Quelques perles

«Il est vrai que le XVIIIe commence par Fontenelle, Voltaire, les soupers du Régent […], et finit par le sang, l'ordure, Sade, la démocratie, etc.» (Morand à Nimier, 24.4.1952)

«On vous reprochera votre Jaguar toute la vie; ce qui est très bien. On oubliera même votre beauté et votre talent, mais la Jaguar, jamais.» (Morand à Nimier, 6.1.1954)

«On n'écrit, en Andalousie, qu'avec du rouge à lèvres.» (Nimier à Morand, 10.9.1956)

«Puis-je vous dire, puisqu'il est deux heures du matin, heure sans femme, donc sans pudeur pour les hommes, que votre amitié me fait tout le plaisir que ces dernières années de Paris ne m'ont pas beaucoup donné...» (Nimier à Morand, octobre 1956)

«Vous n'êtes pas un auteur de la série blonde.» (Nimier à Morand, 4.2.1957)

«Casanova, c'est plus important que Voltaire, à beaucoup de points de vue.» (Morand à Nimier, 20.6.1958)

Paul Morand, Roger Nimier : Correspondance (1950-1962). Edition de Marc Dambre. Gallimard 2015.