Je n’ai pas de télévision; c’est pourquoi elle m’impressionne tant lorsque je la regarde. Voir in extenso les nouvelles sur France 2 ou TF1, c'est ma madeleine de Proust! Me voici replongé dans le système totalitaire décrépit où je suis né.

Nouvelles de la JRT (Radio-télévision yougoslave), années 1980. Economie effondrée, société éclatée, pouvoir discrédité et conflits ethniques qui couvent… Ne restait, pour faire tenir tout cela ensemble, que le mensonge systématique, compact et rassurant qui, chaque soir à 19h30, donnait à un peuple ravalé au rang de masse abrutie le sentiment que le système tenait encore.

L’art du pouvoir moderne commence par la mainmise sur les médias, mais on oublie que son point de départ est aussi sa fin. Le 11 janvier dernier, le pouvoir français organisait une procession-Potemkine pour la nomenklatura mondiale dans une rue déserte sécurisée en marge de la manifestation populaire des «Je suis Charlie». Pour oser une telle mise en scène, il devait à la fois se fier à la complicité sans faille de ses médias de masse et s’aveugler profondément sur les conditions de la réalité qui l’entoure.

Pouvait-il ignorer que le montage allait être éventé dans les minutes qui suivaient via les réseaux sociaux? Oui, il le pouvait. Comme il peut ignorer le sentiment de sa propre population à son égard et ne voir aucun des signes évidents de sa fin. L’autoréférence est le propre des systèmes totalitaires. Ils ne prennent connaissance de la réalité qu’au moment de leur mort.