(Musée cantonal, Sion)

Les Alpes valaisannes vues d’un balcon antique de Chandolin, aux bois tordus comme des lianes. Tout au fond, la Dent Blanche. C’est un beau jour d’hiver, le soleil demeure rasant même au zénith…

Nous sommes au début du XXe siècle. Ces montagnes sont encore vierges. Pas de skieurs, pas de stations, pas de remonte-pentes, pas de routes. Une constellation de villages pratiquement isolés attendant le retour du printemps et craignant, au fond d’eux-mêmes, qu’au bout d’un hiver particulièrement cruel le soleil « ne revienne pas ».

Edmond Bille et ses amis de l’école de Savièse ont eu, comme Gauguin, une chance inouïe. Ils dépeignent la beauté paradisiaque de cette terre avec un regard averti. Ils savent que cette éternité est menacée, que dans quelques instants seulement l’innocence du monde sera dévastée par la civilisation technique comme par un tsunami. C’est elle qui les a formés, elle qui leur a permis de vivre en intrus, en témoins-parasites, dans des univers jusqu’alors fermés. Ils sont à la fois les conservateurs du paradis et les précurseurs de sa transformation en lotissement.

A chaque fois que je le vois en vrai, le soleil intense de ce tableau me fait monter les larmes aux yeux. La photographie ne peut restituer cette fulmination contradictoire de la glace et du feu à travers un air dont la pureté vous monte littéralement aux narines. Il m’émeut encore plus que ces paysages flamands dépeignant des campagnes rêveuses que j’aime à revoir au Louvre. Je pense alors à ce que l’industrialisation a fait de ces mêmes lieux, quelques siècles plus tard (les environs de Rotterdam…), et je vois un beau visage à quelques secondes de l’accident qui va le défigurer.