2+0+1+7 = 10; 1+0 = 1.

Selon les numérologues, 2017 est une année qui vaut «1». Elle est l’opposé de l’an 2016 qui, lui, valait 9. 2016 était la fin d’un cycle, 2017 le début d’un autre.

C’est peut-être pour cela que — même quand on ne croit pas au langage des chiffres — personne n’aura l’idée de vous souhaiter, cette année, que les choses continuent «comme avant». La continuité est barrée de notre vocabulaire et de nos esprits. Elle est impensable, tant sur le plan des faits extérieurs que de la vie intérieure.

Sortie de glaciation

2016 fut, sous bien des aspects, une année prodigieuse et prophétique — toujours du point de vue des faits extérieurs. Elle a vu les Britanniques voter leur départ de l’UE, les Italiens renvoyer dans les filets un Premier ministre parachuté par la suprasociété et, surtout, les Américains voter pour un desperado jaune feu, le magnat des casinos Donald Trump.

Les deux derniers mois auront été particulièrement rocambolesques. Entre le coup de théâtre de l’élection U. S. et l’effondrement subséquent de l’illusion médiatique, l’expulsion des islamistes d’Alep et la signature d’un accord de cessez-le-feu en Syrie sans les USA, ce sont des pans essentiels de la carte géopolitique qui basculent de manière rapide et spectaculaire.

Après une période glaciaire d’un quart de siècle marquée par un seul avenir et une seule culture possibles pour la planète Terre, le monde est littéralement en train de reprendre des couleurs! Dans l’UE comme aux Etats-Unis ou en Suisse, au sein des organisations internationales, dans les groupes médiatiques et les facultés, des milliers de globocrates, de laborantins du nivellement mondial, ont, eux, viré au vert pâle. Ils sont les seuls à exiger du «comme avant». Toujours plus de «comme avant»! L’Europe de Bruxelles est en panne? C’est qu’il nous faut davantage de Bruxelles! La criminalité se répand dans des zones sans frontières en même temps que l’espionnage de la population s’aggrave? C’est qu’il y a encore trop de frontières, trop de barrières, trop de cloisons. Abaissez tout! Remplacez, dès que possible, les murs de vos demeures par des parois de verre, comme dans Zamiatine. Supprimez le cash et payez votre café avec une carte à puce traçable. Ainsi nous pourrons enfin tout voir et tout contrôler. En quoi cela vous dérange-t-il si vous n’avez rien à vous reprocher?

On éprouve une satisfaction profonde à voir ces apparatchiks, qui se sont toujours vus comme les locomotives du «progrès», les défricheurs de demain, vaticiner sur un quai désert sans remarquer que le train du XXIe siècle est parti sans eux. Eux qui pourfendaient sans relâche le «conservatisme» et la «réaction», les voici qui ne savent plus rien faire d’autre que nier la réalité présente et vouloir réappliquer de force des schémas de lecture erronés et des solutions révolues.

La révélation syrienne

La Syrie a focalisé toute l’attention du monde et demeurera un symbole, mais pas pour les raisons espérées par nos élites. Elle marque le premier échec d’une conspiration historique d’une ampleur rarement vue : celle liant l’empire atlantique à la barbarie islamiste diffusée par la maison Saoud (elle-même client et satrape américain). Cette conspiration, nous avons pu en apercevoir des bribes et fragments sur divers théâtres de conflits dans le monde depuis une trentaine d’années. Mais la libération d’Alep-Est a soudain révélé au grand jour le tableau d’ensemble, avec ses barbouzes de la CIA-MI6, ses «instructeurs» de l’OTAN, ses réserves d’armes de pointe fabriquées et livrées par des puissances occidentales et surtout l’épaisseur du système de propagande médiatique agencé pour couvrir toute l’opération.

(A propos: ces fameux «Casques blancs» d’Alep, où sont-ils passés? En a-t-on retrouvé un seul après la débandade des djihadistes?)

Cette stratégie de la régression islamique fut originellement mise en place pour vaincre l’URSS en Afghanistan. Saisissante justice de l’histoire: c’est la Russie, débarrassée de l’URSS, qui met en déroute cette même stratégie trente-cinq ans plus tard. Entretemps, elle aura contribué à détruire la Yougoslavie, l’Irak, l’Afghanistan une deuxième fois, la Libye, la Syrie, la Tunisie... Mais aussi à transformer en moins d’une génération une zone de paix et de bonhomie — l’espace européen — en territoire de la peur et du flicage généralisé.

Il y a encore une amère ironie à constater que les pays qui se sont faits les complices par poltronnerie de ce jeu sont aussi ceux qui en endossent la conséquence la plus durable. Le flot migratoire que les Européens vont récupérer jusque dans les eaux libyennes a brouillé l’Europe avec les notions de «paix», de «stabilité» et de «prospérité» sans doute pour des générations. Sans parler du reste… Les migrants sont devenus le problème majeur d’une Europe-satellite qui était déjà en crise. Ils ne sont pas un problème du tout pour les Etats-Unis, l’Arabie Saoudite ou la Russie.

Itinéraire personnel

Les éditions Xenia, dont je suis le cofondateur avec Me Claude Laporte, ont été créées entre autres à cause de l’aveuglement massif à l’égard de la stratégie islamiste et de ses sponsors. Le premier titre que nous avons publié en 2006, de Jürgen Elsässer, s’intitulait Comment le Djihad est arrivé en Europe. Il était minutieusement documenté, froid comme un procès-verbal et ne disait pas un mot de l’islam en soi. Malgré cela, aucun éditeur francophone n’avait osé le traduire. Lorsque nous l’avons fait, avec une pénétrante préface de Jean-Pierre Chevènement, nombre de libraires ont refusé de vendre l’ouvrage et j’ai été traité de conspirationniste.

La thèse fondamentale d’Elsässer était simple: Il n’y aurait pas de djihadisme en Europe sans le laissez-faire et parfois la complicité de «nos» services secrets. Expliquer pourquoi n’était pas le propos de l’auteur. Son propos était d’établir le fait, et il le faisait à l’allemande, de manière méthodique et solide. Est-ce un hasard si ce livre prophétique, devenu aujourd’hui une référence, a été massivement boudé par les médias de grand chemin et diffusé, presque sous le manteau, par l’information «alternative»?

Dix ans et cent trente titres plus tard, on peut voir la cohérence d’ensemble d’un travail qui a pu paraître erratique. Nous avons publié la somme théorique d’un écolo-terroriste (Theodore Kaczynski, dit Unabomber), divers ouvrages sur les abus et la commercialisation de la médecine, de la littérature insoumise, quelques pamphlets politiques, des essais sur la destruction des libertés et la manipulation des masses. Fil rouge de tout ceci: la lutte contre le mensonge institutionnel et la lâcheté collective. Nombre de nos thèses «téméraires» sont entrées depuis dans la conscience commune.

Arrivé à la fin de 2016, j’ai éprouvé le besoin de faire un bilan. J’ai la conviction qu’en 2017, nous devrons répondre à d’autres questions. A la question «Qu’est-ce qui se passe réellement?», nombre de canaux s’efforcent de donner des réponses, plus ou moins crédibles, plus ou moins justifiée. Il importe de faire le tri, mais les informations existent. L’inconnue qui émerge désormais est d’une autre nature: «Que faire?»

Et maintenant, quoi?

Nous sommes sortis de l’innocence. Nous avons compris que le chemin de l’enfer était pavé d’illusions humanitaires. Et quoi? Qu’allons-nous faire de ce désabusement?

Nous vivons dans une société chloroformée où l’entrée dans une carrière politique, médiatique ou universitaire équivaut à l’adoption d’un strict devoir de réserve vis-à-vis de la réalité immédiate et au renoncement de l’exercice de ses facultés intellectuelles et morales dans les situations critiques, qui sont les seules qui comptent!

Qu’allons-nous faire avec de telles élites? A quoi nous servent les chaires, les chercheurs et les «observatoires» qui nous alertent sur tout, sauf sur ce qui nous concerne vraiment? A quoi nous servent des journalistes qui nous jugent plutôt que de nous instruire? A quoi nous servent des écoles où on enseigne l’ignorance? Pourquoi élire des députés s’ils doivent aussitôt devenir sourds-muets et voter comme un seul homme des lois et décrets qu’on a fabriqués pour eux?

Comment allons-nous survivre dans un monde où les outils ont déjà pris la place de leurs concepteurs? Car si le cheminement politique vers une société planétaire transparente est momentanément enrayé, son pendant scientifique, lui, suit son cours. N’impliquant ni volonté explicite, ni rhétorique, ni coercition, il passe inaperçu. Il épouse l’évolution même de la technologie, en particulier depuis la naissance de l’internet. L’outil premier de la lutte contre la normalisation idéologique du monde est aussi l’outil premier de sa normalisation culturelle et comportementale!

La conscience est tellement plus compliquée à endosser que l’innocence! Or nous entrons avec 2017 dans un cycle de la conscience. Le nouveau cycle qui s’ouvre devant nous est infiniment dangereux et infiniment passionnant. Nous vivions barricadés derrière des idées fausses, mais ces idées fausses sont tombées: nous voici désormais mis à nu, ouverts à tous les vents du chaos. Reconstruire des murailles avec le contraire de ces idées serait le réflexe politique naturel, or la politique, j’en suis convaincu, ne résoudra plus rien. Du moins dans sa configuration actuelle.

L’effondrement des illusions anciennes ne nous met pas en demeure d’en fabriquer de nouvelles. Ce séisme-ci est beaucoup trop profond. Si profond qu’il en est providentiel. Il nous permet d’aborder la réalité sans idées préconçues, sans convictions justement, à partir de notre seule incontestable présence au monde. Si nous voulons reconstruire le monde, nous devons d’abord nous reconstruire nous-mêmes, nous réaffirmer en tant qu’individus conscients et présents à leur propre destin.

L’Europe moderne a réalisé pleinement la sinistre prophétie de C. S. Lewis: le règne des hommes sans cœur, d’une humanité mue essentiellement par la peur et le calcul sous l’alibi de la rationalité. Les épreuves qui nous attendent dès 2017 seront un véritable bain de jouvence. Les hommes sans cœur s’effondreront, même s’ils tiennent encore tout aujourd’hui. Nous avons suffisamment de savoir et suffisamment de pouvoir. Ne nous manque plus, pour reprendre nos vies en main, que de retrouver le courage d’être ce que nous sommes.

C’est tout ce que je vous souhaite pour l’an qui vient!

Photo: Le quai de Montreux, Photobiographie © SD