La lettre type à renvoyer aux neuf dixièmes des auteurs des manuscrits que reçoivent les éditeurs pourrait se résumer aux quatre phrases de Maugham traduites ci-après. Mais nous, éditeurs, ne l'enverrons jamais parce que nous sommes hypocrites. Et si nous sommes hypocrites, c'est parce qu'il est plus douloureux de s'entendre dire qu'on ne sait pas écrire que d'apprendre qu'on est cocu. C'est pourquoi nous perpétuons l'hypocrisie du "...n'entre pas dans nos collections" et du "...ne croyons pas pouvoir accompagner votre texte comme il le mériterait". Il y entre à la fois de la lâcheté, de l'urbanité et une sincère compassion.

Mais comme cette duplicité finit forcément par distendre les mailles du filtre, comme il y a des cadences de parution à respecter ainsi que tout un trafic de renvois d'ascenseur très efficaces et peu coûteux, nous laissons peu à peu l'illitérature envahir le sanctuaire et contribuons ainsi nous-mêmes à la perversion du goût dont nous nous plaignons par ailleurs.

"Il est admis que l'art de la peinture ou de la composition musicale ne peut être acquis qu'au travers d'un labeur assidu, et les productions des dilettantes sont considérées avec un mépris bienveillant ou exaspéré. Nous nous félicitons tous de ce que la radio et le gramophone aient expulsé de nos salons les pianistes amateurs et les chanteurs du dimanche. L'art d'écrire n'est pas moins difficile que les autres et pourtant, du moment qu'il sait écrire une lettre, tout un chacun s'imagine capable d'écrire un livre. L'écriture semble être devenue le passe-temps favori de l'espèce humaine."

-- W. Somerset Maugham, The Summing Up, XLVII, p. 119.